Sur les réseaux sociaux, dans les foyers ou parmi la communauté éducative, le débat s’enflamme autour de la prochaine rentrée scolaire. Pro-enseignement distanciel et partisans de l’apprentissage classique dit présentiel confrontent leurs points de vue, se livrent un combat cru, dur, sans faux semblants, parfois à la limite de la décence.
Indécis, déboussolés et ne savant vers quel saint se vouer, parents et tuteurs d’élèves sont pris entre deux feux, opter pour l’enseignement présentiel en faisant fi de l’évolution de la pandémie ou poursuivre l’expérience du télé-enseignement telle que pratiquée –à la va-comme-je-te-pousse– durant la période du confinement.
Il s’agit d’un véritable dilemme cornélien auquel seront confrontés les parents d’élèves. Toute décision hasardeuse risquerait d’être fatale et pourrait même compromettre l’avenir scolaire d’un enfant. Un choix douloureux, incertain que s’apprêterait à entreprendre, à leurs risques et périls, des papas et des mamans plus que jamais soucieux de la santé mais aussi de la scolarité de leurs chérubins.
Pour y voir encore plus clair, la Chronique a recueilli l’opinion d’une pléiade de spécialistes tangérois
Mokhtar Chaoui : Enseignant-chercheur et écrivain.
Jamais le mot DILEMME n’a aussi bien porté son sens. Le monde entier ne sait pas à quel saint se vouer lorsqu’il s’agit de choisir entre l’enseignement présentiel et/ou à distance. Des pays très en avance dans le domaine comme l’Allemagne et la Corée du sud, qui ont ouvert les classes, ont vite fait volte-face et ont fermé plusieurs établissements à cause de la contamination de professeurs et d’élèves. Que dire du Maroc où les infrastructures manquent cruellement, où la pédagogie est bancale, où les enseignants sont mal payés et où la discipline reste la dernière de nos vertus ?
Faut-il privilégier le présentiel en risquant une contamination certaine ou « à distance » en enfonçant les inégalités sociales, ou en alternant les deux en sachant que cela aboutira à un cafouillage indescriptible ? ENTRE LA PLUS QUE PROBABLE CONTAMINATION DES ÉLÈVES/ÉTUDIANTS EN PRÉSENTIEL ET L’ACQUISITION D’UN SAVOIR CACOPHONIQUE À DISTANCE (SI SAVOIR IL Y A), J’OPTE POUR LEUR SANTÉ. Cela signifie-t-il que je privilégie l’enseignement à distance ? Oui, mais à contrecœur, car l’expérience que j’ai vécue avec mes enfants a démontré que l’enseignement à distance, tel qu’il a été pratiqué au Maroc, est un fiasco total. Au fait, entre le mauvais et le pire, je choisis le mauvais.
L’enseignement à distance peut, certes, être une alternative temporaire, à condition que l’Etat assure aux professeurs et aux apprenants l’indispensable : (matériels, abonnement à internet, bonne connexion). Il doit fournir un ordinateur à chaque famille qui ne peut pas se le procurer (Qu’il remplace pour une fois la qoffa par le PC). Il doit aussi imposer aux trois opérateurs la gratuité de la connexion pendant les heures de cours. Les familles aussi doivent se responsabiliser et organiser leur vie autrement. Mais l’Etat fera-t-il cela ? Et la famille marocaine est-elle disposée à changer son mode de vie ? Bien sûr que NON. Le dilemme est total. Que faire alors ? Si ça ne tenait qu’à moi, je laisserais mes enfants près de moi et je leur imposerais des lectures. Rien n’est plus instructif que la lecture.
Mohamed El-Harrak : Professeur, journaliste et militant associatif
Je suis pessimiste mais pragmatique. Le miracle de la fin de la pandémie n’est pas pour demain. Seuls ceux qui étaient derrière ce blocage planétaire connaissent le secret de la sortie de crise. Pour cela, il ne faut surtout pas attendre Godot. L’année scolaire doit commencer. L’enseignement est un secteur économique comme les autres. Le matériau est noble : les jeunes esprits. En présentiel ou à distance, l’important est de commencer. Les plages étaient pleines. Les souks étaient pleins. Les autobus sont pleins. Puis, on dit « Ah! Il faut reporter la rentrée scolaire » comme si coronavirus n’existe que dans les établissements scolaires. La rentrée doit avoir lieu. Les modalités de l’enseignement doivent être déclinées en fonction de l’évolution de la situation pandémique. C’est une occasion qui s’offre pour développer un enseignement à distance de qualité. L’avenir sera numérique et virtuel et nous devons nous y préparer. Il est vrai que l’apprentissage est un acte social et en présentiel et que toutes les initiatives à distance ne peuvent remplacer un contact direct entre le maître et ses élèves mais le téĺé-enseignement se présente comme une alternative. Il faut seulement colmater la fracture numérique qui aggrave les inégalités et par conséquent décuple les rangs des décrocheurs. La pandémie est sérieuse et je pense qu’elle sera même éternelle. Cedi dit, il faut d’un côté ouvrir les écoles à tout le monde mais avec des rythmes alternés. C’est le moment de mettre en place une école inversée où le travail se fait à la maison et se consolide en classe. Je propose pour cela que les élèves étudient la moitié de leur horaire hebdomadaire en classe ; l’autre moitié à la maison. En français par exemple, deux heures en présentiel et deux à distance avec le même professeur. Comme ça les élèves restent en contact avec le même encadrant. Il faut se préparer à un futur où tout sera numérisé et à distance. Un monde qui ne ressemble absolument pas à celui où nous vivons actuellement.
RACHID MADANI (Professeur formateur CFI retraité, ancien membre de la mission culturelle du Maroc au Sénégal et en Mauritanie , journaliste à l’Opinion).
La prochaine rentrée scolaire sera partagée entre le présentiel et le distanciel au Maroc. En tant qu’ancien enseignant formateur, en tant qu’éducateur, en tant que parent d’élève, il m’est difficile voire impossible d’opter pour un choix adéquat à l’enseignement. Après une longue réflexion, je pense sincèrement que la décision finale doit revenir à une consultation du corps médical. Que dit la science ? En effet, les scientifiques marocains privilégient le présentiel particulièrement pour les enfants de moins de 14 ans. Ils insistent sur le fait que l’enfant ,qui n’est pas vecteur et très peu contaminant ,a besoin de liens sociaux qu’il développe à l’école et qui sont nécessaires à son développement. Pour les adolescents qui ont plus de 15 ans, les scientifiques se penchent vers le distanciel pour éviter tout problème de contamination car la santé de l’être humain est au-dessus de tout apprentissage ou étude. Alors dans ce cas, l’intervention du gouvernement est très importante car les maisons des élèves déshérités scolarisés en particulier les campagnards doivent avoir un ordinateur avec internet gratuit. Outre l’acquisition du matériel pour l’enseignement à distance, des séances de formation sont à prévoir pour améliorer la qualité de la technique de l’audio-visuel aussi bien des enseignants que des parents et des apprenants. Pour tous ,il est impératif et indispensable de renoncer à l’inquiétude et à la peur pour pouvoir agir et œuvrer pour le bien des petits marocains car la pandémie n’est pas seulement l’affaire du Maroc mais du monde entier où les habitudes quotidiennes doivent connaitre un changement total dans la manière de vivre.
Chairi Abdelkader : Professeur
L’enseignement distanciel est une exception dictée par un facteur conjoncturel, la Covid19. Si l’apprentissage à distance, contrairement à l’enseignement en présentiel, permet de fournir une formation en temps et lieu asynchrones, il est toutefois sujet à moult dysfonctionnements. D’abord, il faut disposer d’une connexion WI-FI et d’un ordinateur portable, d’une tablette, ou d’un smartphone, ce qui n’est pas à la portée de tous les élèves, encore moins de ceux issus des couches sociales défavorisées. Ensuite, l’enseignement en ligne exige une formation, une habilité à manier les outils informatiques, ce qui n’est pas le cas pour la quasi-totalité des professeurs souvent adeptes aux méthodes classiques. Autre contrainte, qui peut être de taille : le manque de rigueur et la démotivation des apprenants et la problématique de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication.
Pour ces raisons et pour d’autres, je préconise le présentiel, car ce mode d’apprentissage constitue la norme. Il favorise l’interaction avec le maître qui pourra, si besoin, intervenir, orienter, reformuler sa question, corriger directement, adapter sa méthode en fonction du niveau et du degré d’évolution des apprenants.
Ceci étant, le Ministère de tutelle est vivement appelé à multiplier ces cycles de formation et d’initiation aux méthodes technologiques au profit des enseignants. Et, c’est à cette seule condition que l’on peut proposer un apprentissage à distance
Mohamed EL EDRISSI REYAHI : Enseignant, essayiste
Attente, incertitude et pénurie d’informations sont a fortiori les mots clés qui ont marqué cette nouvelle rentrée scolaire 2020-2021. Le ministère de tutelle a enfin révélé ses réelles intentions quoique son jeu ne dévoile pas vraiment toutes ses cartes. Pour endiguer la pandémie, trois modèles pédagogiques sont à l’ordre du jour. Le premier modèle propose l’adoption d’un enseignement présentiel en cas d’amélioration de la situation pandémique ; Or, cette dernière s’aggrave de jour comme de nuit. Le deuxième modèle prévoit une alternance entre enseignement présentiel et enseignement distanciel.Le troisième modèle enfin préconise un recours exclusif à un enseignement à distance au cas où la situation pandémique actuelle persisterait.
D’ici là, les parents d’élèves devront remplir un formulaire pour « choisir entre la peste et le choléra ». La peste des cours présentiels avec tous les risques de propagation du virus et le choléra de l’enseignement distanciel avec tous ses travers en matière d’inégalité des chances entre autres.
Cours « comodal »
Le cours « comodal » consiste à proposer aux élèves une formule très souple. Il permet d’enregistrer des cours en classe, avec un nombre d’élèves très limité, en alternance, tout en adoptant les gestes barrières recommandés. L’autre partie de la classe suivra le cours à distance. Les élèves présents auront alors la chance d’assister aux enregistrements et même d’intervenir ; ce qui rajoute le côté humain à cette formule dite « comodale » et résout le problème des élèves qui ne se sentent pas à l’aise avec les cours distanciels. Cette formule dénouera également, ne serait-ce que partiellement, les nombreuses anomalies qui ont été recensées lors de l’enseignement à distance en termes de socialisation des élèves, d’égalité des chances, de motivation et de qualité pédagogique…