Une alerte à propos de l’état de dégradation du jardin anglais lancée par Otmane Ben Cherkroune, observateur et auteur d’ouvrages sur la ville de Tanger, a rencontré,il y a quelques, un écho immédiat dans la ville. La suite de cette alerte a été riche en rebondissements.
Jeudi 6 aout. 10 heures.Un autobus cache totalement l’entrée du jardin anglais. La dégradation de ce joyau ne s’arrête pas là. Des barricades ont été placées autour de son kiosque et de sa fontaine pour empêcher les passantsde s’y approcher. Une signalisation met en garde contre un danger réel : quelques parties du toit du kiosque de style andalous sont déjà tombées et le tout semble plus menaçant que jamais.
Quelques jours auparavant, la photo d’une pelleteuse dans ce pan de la légation britanique du temps de Tanger l’internationale avait circulé sur les réseaux sociaux. Un sit-in, réunissant quelques défenseurs des intérêts de la ville sur place, a fait surgir la peur de voir le jardin voué à la disparition comme une vingtaine d’autres fontaines de la ville. Sur place, les manifestants ont appris que le lieu ne sera pas détruit comme l’avait prétendu certaines rumeurs. Sur la toile, tout le monde s’accorde sur la nécessité de sa restauration.
2001, la grande restauration.
« La dernière restauration du square dédié à Sir Reginald Lister remonte à l’année 2001, se rappelle Rachid Taferssiti, Notre association(Al Boughaz, ndlr) était derrière cette intervention sur ce bien collectif qui était en état de dégradation flagrant. Elle a été concrétisée avec l’aval des autorités concernées grâce au soutien financier de l’Ambassade du Royaume Uni. »
« Validés et suivis par les responsables concernés, les travaux ont étéexécutés ,précisele président de l’association Al Boughaz, par une équipe constituée d’architecte, ingénieur, marbrier, ébéniste, forgeron, maçon en respect avec toutes les autorisations d’usage et sous la direction d’une entreprise reconnue par ses compétences sur d’autres chantiers beaucoup plus importants. »
Cet auteur de livres sur la ville de Tanger et son histoire ajoute que « l’inauguration du kiosque et son jardin s’est déroulée en présence de Feue S.A. la Princesse Lalla Fatima Zahra, le Wali Moulay Mehdi Alaoui, l’Ambassadeur et la Consule Générale du Royaume-Uni au Maroc et des représentants de la Commune et de différents organismes et institutions concernés, ainsi que des associations impliquées dans la préservation du patrimoine.»
Taferssiti confie que certains reprochent à son association d’avoir mal restauré le lieu. Il corrige en affirmant que« l’état actuel du Kiosque et du jardin qui l’entoureest dû à l’abandon dont a fait l’objet pendant longtemps ce dernier vestige de l’internationalité de Tanger ».
Avec amertume, le célèbre photographe conclue« Quand j’ai vu l’état actuel du Kiosque, je me suis senti envahi par une forme de tristesse mêlée de frustration. Je me demande s’il n’aurait pas été préférable de ne rien faire. »
Abdellah, un habitant de la Médina, rencontré sur place se rappelle : «Je me sens bien ici. J’y viens presque tous les jours. J’ai joué ici lorsque étais petit. C’était plus vaste qu’aujourd’hui, plus propre qu’aujourd’hui, plus aéré qu’aujourd’hui. Ma mère me racontait que du jardin on pouvait emprunter une galerie qui menait jusqu’au port ! Je me suis toujours demandé si cela était possible. Maintenant, les immeubles étouffent le jardin et nous étouffent nous aussi. Des fois, il m’arrive de rencontrer ici des jeunes en train de se droguer, de se disputer et de vandaliser la fontaine. Regardez-moi ces tags ! »
En effet des tags fluorescents attirent l’attention plus que les gravuresrendant hommage à la personnalité à laquelle ce joyau a été dédié en guise d’hommage posthume : Sir Reginald Lister.
Ce diplomate anglais, qui a marqué à jamais l’histoire de la ville, est un inconnu pour les nouvelles générations. Inconnu malgré le fait que ce lieu est lié étroitement à sa personnalité. Pour rappel, Reginald Lister était issude la famille des barons de Ribblesdale dont l’influence remontait à 1797. Ilétait né en 1865 et avait commencé son service diplomatique à Berlin en 1887, puis Athènes en 1892 et Constantinople en 1894. Il avait enchainé son service dans des villes très importantes à l’époque : Copenhague (1902-1904), Rome (1904-1905), et Paris (1905–1908). En 1908, il avait décrochéle poste d’envoyé extraordinaire et ministre britannique à Tanger et l’avait occupé jusqu’à sa mort en 1912.