L’histoire a commencé dans la ville oubliée de Tinjdad,(80 km d’errachidia vers tinghir) pour aboutir à la dernière étape : les environs de Laâyoune, où six jeunes de la ville ont trouvé la mort au milieu des vagues déchaînées de l’océan Atlantique, alors qu’ils tentaient de traverser vers l’autre rive à bord d’une embarcation de migration clandestine.
Les récits divergent sur les circonstances du drame, mais l’amère vérité n’est connue que par ceux qui l’ont vécue aux côtés de plus de quarante personnes entassées sur ce petit bateau bien au-delà de sa capacité, impuissants face à leur destin. L’essentiel est que ces jeunes, dans la fleur de l’âge, voyaient en Europe un refuge sûr, une terre promise pour une vie digne, après avoir vécu une vie misérable de leurs familles.
Ils ont pensé à une vie meilleure, mais n’ont pas réfléchi une seule minute aux conséquences de l’inconnu qui les attendait, ni aux dangers de la mer – celle dont on dit : ( celui qui y entre est perdu, et celui qui en sort est né).
Nos ancêtres, que Dieu leur accorde Sa miséricorde, répétaient : « Mieux vaut le goudron de mon pays que le miel des terres étrangères ». Mais les jeunes d’aujourd’hui ont inversé l’adage, convaincus que quiconque pose le pied sur les terres de l’Occident vivra dans l’abondance : voitures de luxe, femmes aux yeux bleus et « liberté » totale pour fumer une cigarette ou boire une bière en plein jour, loin des regards indiscrets des autres.
Des jeunes qui ont voulu fuir cette atmosphère, encouragés par des proches leur ayant parlé d’un « Hrig » (départ clandestin) à bas prix, parfois même par leurs propres parents, impuissants face à la précarité, préférant réunir l’argent du voyage plutôt que de voir leurs enfants souffrir. Oubliant, ou feignant d’oublier, qu’ils les offraient en sacrifice à la mer et aux requins, sans réfléchir aux conséquences.
Les visages des parents des disparus sont marqués par le regret et l’amertume. Ils ont préféré affronter les bateaux de la mort sans mesurer les risques. Pas étonnant qu’on l’appelle « le Maroc profond. Des villes et des villages qui ne connaissent du développement que le nom, et dont les projets, quand ils existent, mettent des années à aboutir. Et même lorsqu’ils se concrétisent, quelques mois suffisent pour révéler leurs défauts, car la fraude dans les constructions et la corruption dans les réalisations sont monnaie courante – sauf exception.
Le drame des jeunes Tinjdadois soulève plusieurs questions et nous interpelle, nous, les enfants de la région,qui occupent des postes de décision dans les ministères et les institutions publiques : Qu’avons-nous fait pour cette ville qui nous a élevés dans ses bras, parmi ses champs et ses palmiers qui nous ont comblés de leurs bienfaits ? Avons-nous rendu la pareille pour éviter à ces jeunes la tragédie de l’émigration clandestine ?
Elle nous interpelle, nous, élus, qui gérons les affaires publiques grâce à la confiance accordée par les citoyens aux urnes : Quels projets de développement avons-nous réalisés pour la région?
Le drame nous interpelle en tant que société civile, qui a un rôle crucial dans la sensibilisation des jeunes, leur expliquant que la migration clandestine n’est qu’un beau rêve éphémère, mais une erreur aux conséquences dramatiques, connues seulement par ceux qui l’ont vécue.
Elle interpelle aussi nous, journalistes, sur le rôle des médias locaux, régionaux et nationaux, qui pourraient contribuer à limiter ce phénomène en donnant la parole à ceux qui ont subi les horreurs des bateaux de la mort, et en montrant la réalité de la vie en exil – car vivre une expérience n’a rien à voir avec en entendre parler.
La grande question qui se pose après cette tragédie est : Tinjdad et le pari du développement ?
Le voyage de ces jeunes a commencé à Tinjdad… pour se terminer dans l’océan Atlantique. Ils sont revenus à Tinjdad en corps sans vie.
« Nous appartenons à Dieu, et c’est à Lui que nous retournons. »