TEXTILE : « UNE PRODUCTION DÉCARBONÉE, C’EST UN ARGUMENT COMMERCIAL PUISSANT » ENTRETIEN AVEC YACINE AAROUD PRÉSIDENT DE L’AMITH-NORD
Propos recueillis par Réda Temsanani
Alors que l’Union européenne prévoit de mettre en œuvre, dès janvier 2026, une taxe carbone sur les produits importés, indexée sur leur empreinte environnementale, les exportateurs marocains sont à un tournant stratégique.
Ce Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF), dont le coût est estimé entre 60 et 100 euros par tonne de CO₂, pourrait fragiliser la compétitivité des entreprises qui n’auront pas entamé leur transition énergétique.
À l’inverse, celles qui relèveront le défi pourront se positionner comme des partenaires industriels durables et s’inscrire pleinement dans la Vision Maroc 2030, portée par la volonté royale d’une transition vers un modèle économique plus soutenable.
Dans ce contexte décisif, nous avons rencontré Yassine Aaroud, président de l’AMITH-NORD, pour comprendre comment les industriels du textile se préparent à cette transformation.
1 – Impact de la taxe carbone européenne
« C’est un défi, oui, mais surtout une opportunité. »
La taxe carbone européenne est une réalité qui s’impose à notre économie nationale. Le textile sera directement concerné dès 2027-2028, avec des conséquences notables pour les entreprises non engagées dans cette transition.
La région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, en première ligne des exportations vers l’Europe, pourrait être la plus touchée, notamment en matière d’emploi et de compétitivité.
Il faut rappeler que le secteur textile emploie plus de 120 000 personnes à Tanger. Certes, cette taxe représente une contrainte et un coût, mais elle est aussi un levier de transformation et d’innovation.
2 – Les actions déjà engagées
« Nous ne partons pas de zéro. »
Depuis plusieurs années, l’AMITH œuvre au niveau national pour des modèles plus durables et innovants.
À l’échelle régionale, depuis trois ans, des entreprises investissent dans les panneaux photovoltaïques, l’amélioration de l’efficacité énergétique, ou encore la réduction des émissions. Des partenaires comme Inditex exigent déjà des fournisseurs à faible empreinte carbone, ce qui pousse à structurer et accélérer la transition.
3 – Les industriels sont-ils prêts ?
« Nous sommes en chemin, mais pas encore tous prêts. »
La préparation varie selon la taille :
- 13 grandes entreprises : déjà engagées, certaines équipées en systèmes solaires.
- 100 moyennes et 200 petites : progression variable.
- Très petites structures : manque de moyens, faible traçabilité, absence de formation.
Sans accompagnement, certaines ne pourraient plus exporter.
4 – Les solutions proposées
L’AMITH met en place :
- Diagnostics, formations, conseil
- Partenariat avec Inditex et plusieurs banques pour faciliter l’accès au crédit vert
- Recours aux programmes Tatwir Croissance Verte, War Room Green Economy et subventions Maroc PME
5 – L’énergie solaire en collectif
Un appel d’offres groupé est à l’étude pour mutualiser les coûts et accélérer l’équipement en énergies renouvelables, surtout pour les petites structures.
6 – Protectionnisme ou opportunité ?
« Alignons nos standards sur ceux de l’UE et nous serons compétitifs mondialement. »
Plutôt qu’une menace, la taxe est vue comme une incitation à l’excellence environnementale. Une production textile décarbonée est un argument de poids sur les marchés.
7 – Le rôle du gouvernement
Les actions déjà initiées : financements, normes, bilans carbone.
Priorités :
- Simplifier les démarches administratives
- Élargir l’accès aux financements verts
- Renforcer les incitations fiscales
- Adopter une norme carbone marocaine reconnue par l’UE
8 – La gestion des déchets textiles
Le recyclage est central. Deux projets sont en cours :
- Entreprise espagnole implantée à Casablanca et Tanger
- Entreprise nationale en phase d’évaluation
9 – Responsabilité sociétale
Depuis 2002, des audits sociaux approfondis (conditions de travail, sécurité, hygiène) ont été menés. Aujourd’hui, une nouvelle étape commence : la décarbonation.
10 – Intelligence artificielle et textile
« L’IA est un atout, sans aucun doute. »
Avantages :
- Amélioration de la qualité et rapidité
- Tendance au zéro défaut
- Usines intelligentes connectées (smart factories)
- Optimisation des chaînes de valeur
Impact possible sur l’emploi, mais avec un potentiel de reconversion dans d’autres secteurs.
11 – Les freins à la transformation technologique
Le coût initial reste l’obstacle principal. Avec un meilleur accès au financement, la transition est possible.
12 – Conclusion
« Une production textile respectueuse de l’environnement, ce n’est pas seulement bon pour la planète, c’est aussi un argument commercial puissant. »
Pour préserver ses parts de marché, protéger l’emploi et rester compétitif, le secteur doit transformer la contrainte de la taxe carbone en opportunité.
À l’AMITH-NORD, l’engagement est clair : réussir cette transition écologique et technologique pour un textile marocain durable et compétitif.